La grande parade

Le menteur : une pièce d'hier et d'aujourd'hui brillamment mise en scène.

Malgré une intrigue imaginée au XVIIeme siècle et une langue au vocabulaire révolu, Julien Gauthier et la compagnie ont réussi avec brio à faire de cette pièce de théâtre une réflexion actuelle sur le mensonge et le rapport à l’autre.

Rien de facile que de s’emparer d’une pièce du grand Corneille. La question n’est pas de rendre la pièce sublime. Les alexandrins le sont déjà. La difficulté réside dans une interprétation qui renouvelle la pièce sans la dénaturer. Un pari réussi.

« Le menteur », c’est l’histoire d’un homme, Dorante, qui ment comme un Dieu. Avec sa langue bien pendue et son audace sans pareil, il éblouit tous ceux qu’il rencontre. Persuadé de sa force de langage, il cherche à en tirer parti. Pour séduire Clarice qu’il rencontre à Paris pour la première fois, il lui affirme qu’il la désire secrètement depuis longtemps et lui raconte ce qu’elle rêve d’entendre. Celle-ci tombe sous son charme. Car notre homme en plus d’être convaincant ne manque pas de panache. Face à son père, il n’hésite pas à mentir pour éviter un mariage arrangé.

Chaque hypocrisie est si excessive qu’on doute que quiconque ait pu l’inventer. Mais à mentir constamment, Dorante se met en difficulté. En s’entremêlant, les mensonges s’effritent. Il se démène à coup de mensonges tous plus grandioses les uns que les autres pour garder la face.

Mais sa mémoire commence à lui faire défaut. Il ne se souvient plus du nom des personnages de ses inventions. Alors que Clarice et les autres individus trompés par Dorante se rencontrent, émerge l’évidence. Les propos de Dorante ne concordent pas les uns avec les autres. Agissant inconséquemment, il tombe néanmoins amoureux de Clarice. Celle-ci consciente de son manège le considère comme un « fourbe ». Dorante va tout faire pour la convaincre de son amour. Mais un menteur qui dit la vérité est rarement cru… Éculé, dans une situation désastreuse, son père le menace. La femme qu’il aime se joue de lui. Les valets se moquent de ses inconséquences. Heureusement, suite à un imbroglio qui s’est construit tout au long de la pièce, Dorante se rend compte que la discrète Lucrèce, ami de Clarice, désire s’unir à lui. Il réalise alors un dernier tour de passe passe. Et l’épouse. Toutes ses difficultés s’évanouissent. Il s’en sort. Presque indemne. Impliqué dans une relation avec Lucrèce non désirée. Le valet de Cliton finit la pièce avec ces vers :

« Vous autres qui doutiez s’il [Dorante] en pourrait sortir, Par un si rare exemple apprenez à mentir ».

Si effectivement son maître se sort de ses problèmes, il n’atteint pas son souhait initial, s’unir à Clarice. Il doit lutter pour ne pas se noyer dans ses mensonges. Ainsi, si les mensonges peuvent donner un avantage pernicieux dans la relation aux autres, ils sont le plus souvent des détours qui emprisonnent celui qui les énonce. Une morale qui franchit les siècles sans vieillir ni périr.

Les vers en alexandrins, sertis de rimes et de mots datant du XVIIeme siècle, sont exquis. Bien qu’on doive parfois se concentrer pour bien comprendre le sens des phrases, le vocabulaire suranné fait sourire. Par exemple, lorsque que Dorante affirme que son épouse imaginaire est enceinte il s’exclame « Elle est grosse ! ». Ou encore tout le vocabulaire autour de « l’hyménée » évoquant la première union entre un homme et une femme. De nombreux autres passages sont savoureux par leurs sonorités et leur vocabulaire.

Dans cette comédie qui se déroule dans le Paris du XVIIeme siècle, les parents imposent aux enfants leur époux. Les maîtres sont accompagnés de leur valets et du cocher. La noblesse autant que la bourgeoisie sont évoqués. Malgré ces rôles d’un autre temps, le spectateur se délecte de l’histoire comme si elle avait lieu aujourd’hui. La compagnie « Théâtre en pierres dorées », en habillant ses personnages de vêtements actuels, plonge

Dorante, Clarice, Cliton et les autres dans notre époque. Costume bleu décontracté pour Dorante, jean et trench élégant pour son Valet Cliton, jupe grise sophistiquée pour Clarice. La musique jazzy qui accompagne chaque début et fin de scène renforce l’atmosphère contemporaine. Le rythme effréné illustre cette histoire dont les retournements de situations ne cessent d’affluer. Les comédiens sur scène jouent brillamment.

Le très visible Dorante ne cesse de se déplacer fier comme un coq, dans une posture de séducteur. Son père incarne la bonhomie paternelle de l’homme qui dirige sa maison. Tous les personnages, par leurs gestes et une déclamation rythmée, dégagent des émotions, souvent le rire. La prononciation parfaite des comédiens (non négligeable lorsque l’on utilise ce vocabulaire), leur excellence à jouer avec les tons et les éclats de voix permettent à cette pièce de théâtre de combler le spectateur.

La compagnie « Théâtre en pierres dorées » propose donc à partir d’une pièce classique de la comédie française de nous exposer une histoire actuelle, celle du mensonge et de la manipulation. Truculent, savoureux et dynamique, Corneille n’a pas fini de fouler l’estrade de nos théâtres !

Victor Waque

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