Pour sauver sa peau et protéger sa famille, Alpha Kaba fuit sa Guinée natale en 2013. Il arrive en France après trois années d’errance clandestine et de violence sans nom, qu’il tient à raconter en tant que migrant et en tant que journaliste, pour donner une voix a ses « soeurs et ses » frères » de route. Quelques belles rencontres plus tard, l’histoire d’Alpha Kaba monte aujourd’hui sur les planches.
Parler, partager, c’est un peu toute l’histoire d’Alpha Kaba. Échanger, découvrir, depuis tout petit, c’est son moteur. Né en Guinée, Alpha grandit avec un rêve : devenir journaliste. Il rentre à l’école à 8 ans.
Bon élève, il trace sa route soutenu par ses parents et à 21 ans, il prend le micro avec talent dans une radio libre de Kankan. Il est heureux, il est amoureux, il est papa.
Il a 25 ans quand le pouvoir en place accuse la radio pour laquelle il travaille d’être l’instigatrice des manifestations à son encontre. Les locaux sont saccagés, les journalistes menacés de mort. Alpha Kaba se réfugie au Mali tout proche puis gagne l’Algérie, qu’il quitte pour l’Italie, en passant par la Libye. En Libye, il y restera plus de deux ans. Vendu comme esclave, torturé, affamé, humilié, il s’accroche à son rêve de toujours : être journaliste. Il racontera, il dira, il tiendra.
En 2016, alors qu’il traverse enfin la Méditerranée vers l’Italie, lui et ses compagnons de route sont pris en charge in extremis par l’Aquarius et les équipes de SOS MÉDITERRANÉE. Il souhaite gagner la France. Il parle français, il veut parler. Arrivé à Bordeaux, il croise Clément Pouré, journaliste indépendant, qui l’aidera à écrire Esclave des milices. Voyage au bout de l’enfer libyen, publié aux éditions Fayard en 2019.
Quand Julien Gauthier, metteur en scène, lit ce texte, il y voit très vite une dimension théâtrale. L’histoire d’Alpha Kaba est une tragédie, un récit épique et philosophique sur la condition humaine. C’est une véritable odyssée contemporaine et porter ce texte à la scène lui apparaît comme une évidence. La compagnie du Théâtre du Lyon adopte le projet, soutenu dans sa création par le Domaine d’O à Montpellier et le théâtre François Ponsard de Vienne.
Le contexte sanitaire se complique mais la pièce existe.
En 2022, Marion Richard, professeure de philosophie au lycée Ella Fitzgerald à Vienne, imagine, en partenariat avec Cyrielle Collin du théâtre François Ponsard, un projet pédagogique à destination des classes de Terminale STMG (Sciences et Technologie du Management et de la Gestion) qui bénéficient rarement de propositions culturelles et théâtrales. Le projet, baptisé « Liberté des corps; Liberté des esprits: approche philosophique et théâtrale », associera aussi des élèves d’UPE2A (Unités Pédagogique pour Élèves Allophones nouvellement Arrivés et de MLDS (Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire).
La pièce Alpha Kaba sera jouée au Théâtre de Vienne les 6 et 7 octobre 2022. Dans la semaine qui suit, Julien Gauthier rencontre les classes et échange avant ou après les représentations scolaires. Le soir du 7 octobre, Alpha est là, en compagnie de la troupe, de l’équipe du théâtre et des bénévoles des associations SOS MÉDITERRANÉE et Amnesty international pour partager avant le spectacle.
À 20h30, la salle est comble. L’histoire d’Alpha Kaba monte sur scène. À la toute fin, un portrait dessiné d’Alpha se déroule en fond de plateau et sa voix enregistrée conclut, transcendant le cercle de la violence et invitant au pardon sans pour autant fermer les yeux. Les comédiens saluent, le public applaudit fort, ma jeune voisine pleure, se penche vers sa copine et lui dit juste « Wahou ! Quand même… le mec !» avant de continuer à applaudir, debout.